récit photographique

Miniature Jessica - A l'ombre de votre regard

Jessica, 24 ans

Mon corps. J’ai tellement de choses à dire sur lui. Quand j’étais petite, j’étais ce que la société appelle “normale”. Physiquement mince, mentalement stable. J’avais un corps de petite fille. Mais cela n’empêchait pas les adultes et les autres enfants de me dire que j’étais grosse. Sans raison. D’aussi loin que je me souvienne, le milieu scolaire n’a été qu’une suite de harcèlements.
J’ai été réglée à 9 ans, et à 10 ans j’avais déjà de la poitrine. Mon corps m’a énormément complexée à ce moment-là. Parce que j’étais différente. La seule à avoir déjà des formes bien visibles. Quand je suis arrivée au collège, j’ai eu un adorable surnom donné par un de mes camarades de classe : « Toupie. » Toupie moche, Toupie sorcière, Toupie baleine. Là encore je n’étais pas très ronde, j’avais 2 kilos en trop. Je pense que j’avais une distorsion de la réalité, comme une anorexique qui se voit énorme alors qu’elle est maigre. Je me comparais aux filles de mon école, celles que je croisais dans la rue et à la télé. Je voyais partout des filles minces, jolies, que les gens appréciaient. J’avais envie de ressembler aux autres, d’être comme eux. Mais les insultes que je recevais tout au long de ma journée scolaire à propos de mon corps étaient vraiment blessantes. Chaque réflexion, chaque regard plein de répugnance marquait un peu plus ma différence.
A partir de mes 11 ans, j’ai commencé à m’en moquer. Qu’est ce qui m’avait fait changer d’avis ? Si j’avais un surnom, c’est ce qu’ils s’intéressaient à moi. Et malgré le harcèlement dont j’ai été victime à cause de celle que je paraissais, mes années collèges ont été les meilleures années scolaires que j’ai pu avoir. Je continue de penser que je devais être fautive pour mériter un tel acharnement. Mon corps ? Il est comme il est. Je ne peux pas le changer, malgré le nombre incalculable de régimes que j’ai pu faire suite aux réflexions de mes camarades. Le premier à 10 ans.
J’essayais de me priver de tout ce que j’aimais à l’époque pour manger des trucs que je détestais. Je m’obligeais à faire du sport. Je me sentais mal avant, pendant et après en avoir fait. J’avais l’impression d’être une esclave de la société. Comme si je devais me plier à elle. Mon seul but était de perdre du poids. Le regard des gens ne changeait pas, je n’en parlais jamais. Le seul regard immuable était celui de ma grande soeur qui m’a toujours soutenue dans mes régimes. Elle ne m’a jamais dit que j’étais grosse et m’a toujours aimée ! Au contraire, elle m’aidait à m’accepter, à me moquer des regards des autres, à comprendre que la méchanceté des gens n’étaient dûe qu’à leur jalousie. Elle me rassurait : un jour, je ne verrais plus l’utilité de vouloir ressembler aux autres.
Un fois, je faisais du lèche-vitrine accompagnée d’une proche. J’avais craqué sur une robe, je voulais absolument l’essayer. « Tu ne rentreras jamais dedans : tu es trop grosse. » J’ai terriblement mal pris cette réflexion. J’ai tout de même essayé la robe, elle m’allait bien … et pourtant je suis sortie de ce magasin sans elle et avec cette impression que je n’étais rien, que je n’étais pas faite pour vivre, que je n’avais pas le droit d’exister. Je n’étais même pas une personne dotée de sentiments. Juste une «grosse».
Arrivée au lycée, mon rapport à mon corps était au plus bas. J’ai souvent douté de moi. J’ai cru qu’au lycée, les camarades de classes jugeraient moins. Mais c’était faux. J’ai commencé mes études, pour être puéricultrice. Je faisais une taille 40 et je n’avais pas un style vestimentaire « classe ». Je mettais rarement un short ou une jupe : je portais souvent un legging noir car je trouvais que ça amincissait. J’étais différente et mes camarades me l’ont bien fait sentir en m’ignorant, en me regardant avec insistance, à longueur de journée. En première année, toute ma classe s’est retournée contre moi. Je ne sais pas pourquoi. J’ai quitté mon école juste après ça, parce que je ne supportais plus cette situation. Pendant ma dernière année de lycée, mon corps a été mon point faible. Je ne le supportais plus, j’avais l’impression qu’il m’empêchait d’être comme les autres. Dans les couloirs, j’entendais des remarques telles que « Avec son corps elle devrait se suicider », « Je ne pourrais pas vivre avec un corps comme le sien » ou encore « T’es tellement grosse que tu pèses 100kg ». Dès l’instant où l’on a insulté mon corps, je suis tombée en dépression. Doucement, lentement. Je crois que cette année-là, c’était l’année de trop.
Les gens ne se rendent pas compte à quel point ces mots-là peuvent te tuer – psychologiquement, physiquement. J’adorais prendre la pose lors de photos souvenirs pour ma soeur ! Puis j’ai eu la chance de rencontrer un photographe. Je crois que c’est lui qui m’a permis d’apprécier le corps que j’ai. Il m’a toujours dit de mettre mes formes en valeur, les laisser visibles pour que les gens puissent les regarder sans que j’en ai honte. Alors j’ai commencé à l’assumer, à ne plus le cacher sous des pulls et des pantalons trop larges.
Puis j’ai rencontré mon copain. Ou plutôt, on s’est retrouvés. Un jour il m’a dit : « Je t’aime avec tes formes. Je préfère avoir quelque chose à toucher quand je te caresse. » Je sais que c’était assez maladroit, parce qu’on ne choisit pas notre corps mais ça m’a fait du bien. Enfin quelqu’un que mon corps ne dérangeait pas ! Depuis ce jour, même si j’ai des hauts et des bas dans ma quête de la totale acceptation de mon corps, je me dis qu’il m’aime comme ça. Ça a changé ma façon d’être.
Il y a un peu plus d’un an, j’ai participé à un concours de beauté. J’ai toujours été fascinée par ce milieu. Ce concours a été la plus grande erreur de ma vie. J’y ai rencontré des personnes fabuleuses, mais aussi très néfastes. À ce moment-là, j’étais toujours sous traitement pour ma dépression. Suite à ça, j’ai échangé les médicaments contre une psychothérapie.
Malgré ça, merci mon corps. Sans toi, mon passé serait moins compliqué, mais je n’aurai jamais pu être celle que je suis et que j’apprécie. L’amour de mon compagnon, le regard qu’il a sur mon corps me permet de l’accepter plus facilement. Aujourd’hui, je le tolère comme il est, et j’en suis même assez fière.