récit photographique
Camille, 26 ans
Quand j’étais petite, j’étais grosse. J’avais la bouille du gosse qui finit toujours son assiette, qui se gave de bonbons et de gâteaux aux anniversaires, qui trempe le doigt dans la confiture maison de maman alors qu’elle est encore chaude, ces gosses à qui, question d’habitude ou d’appétit, on sert systématiquement une deuxième part.
Adolescente, je suis devenue trop grande : j’étais toute embarrassée de ce corps tout mou, de ces membres trop longs qui dépassaient des tables à l’école, des pulls, des jeans, que je ne pouvais cacher nulle part, et qui faisait de moi une cible privilégiée à la balle au prisonnier – ça, une chouette myopie et un sérieux manque de réflexes pour lequel on me charrie toujours.
Et puis, à l’âge adulte, j’ai pris du poids, beaucoup trop, que j’ai fini par perdre après beaucoup d’efforts. Je suis devenue jolie. Pas jolie à en tomber par terre, n’exagérons pas, mais dans la moyenne. Et pour moi qui ait toujours explosé les courbes de croissance et les IMC, cette moyenne-là, elle est nouvelle. Mon nouveau corps, je l’aime bien, parce qu’il est super pratique : plus facile à mouvoir et à habiller, plus endurant à l’effort, il marche plus vite, plus longtemps, il monte bien les escaliers et il court après les transports en commun sans être trop essoufflé. Tous ces petits riens m’ont changé la vie : je me sens – au sens propre du terme – plus légère. Un peu comme une voiture sans direction assistée : on galère un peu mais on l’aime bien, par habitude sans doute, mais un jour on tombe sur une bagnole qui l’a et on se rend compte que c’est quand même drôlement chouette.
La seule chose qui me manque vraiment depuis que j’ai perdu du poids, c’est mon invisibilité. Aussi injuste et violent que ça puisse paraitre, quand j’étais grosse, j’étais tranquille. Mis à part les gamins au collège (âge ingrat s’il en est) et quelques rares cons qui m’ont fait remarquer que j’étais en surpoids, toutes ces années passées avec un corps ni mince ni joli ne m’ont pas traumatisée. Est-ce que c’est parce que j’ai été entourée par des gens respectueux, parce que tout le monde s’en foutait, parce que j’inspirais quand même la sympathie ? Aucune idée. Je n’étais pas jolie et je ne l’avais jamais été. C’était tout.
Évidemment, j’ai connu de petites vexations, comme pleins de gens, surtout ce sentiment de rejet quand il s’agissait de séduction. Quand un mec avec lequel tu discutes finit par te demander le numéro de ta copine, la jolie, à côté … ça agace. Ça fait même un peu rager. Maintenant que je suis « jolie », je me retrouve dans une position totalement différente. Au début, les compliments m’ont fait énormément plaisir : la première fois qu’un homme (de moins de soixante-dix ans, disons) m’a dit que j’étais charmante dans la rue, j’étais à deux doigts de sabrer le champagne.
Le problème, c’est que ces compliments innocents vont de pair avec d’autres mots ou d’autres gestes nettement moins plaisants – que je rencontrais déjà avant, mais moins. Car, non, je n’ai pas envie qu’on me mette une main au cul, pas envie qu’on me hèle ou qu’on me siffle, pas envie non plus qu’on me suive sur plusieurs centaines de mètres, de longs mètres pendant lesquels je cherche un truc dans mon sac pour me défendre de l’agression à venir. Je n’ai pas non plus envie de filer des complexes à mes amies, de provoquer la jalousie chez des filles plus rondes, pas envie qu’on critique telle ou telle partie de mon corps qui ne correspond pas à l’idéal féminin comme si c’était un objectif à atteindre. Je ne veux pas de fesses plus rondes, de peau plus lisse, et mes seins me conviennent très bien même s’il l’un dit un peu merde à l’autre (je vous laisse imaginer).
Qu’un homme que je ne connais pas et que je croise juste dans la rue projette sur moi un désir qui n’est que le sien, ça, je ne peux pas le contrôler, c’est humain. Qui n’a pas rêvé de ses vacances à Hawaï avec ce mec, cette fille, cette chèvre (je ne connais pas vos goûts, après tout) croisé(es) dans le métro ? Mais pourquoi m’en faire la remarque ? Si, sans le vouloir, je provoque le désir chez quelqu’un – la plupart du temps, un homme – ce désir ne vient pas de moi : il n’a pas besoin de m’être retourné. Il est très rare qu’une femme dise à un homme qu’elle ne connait pas qu’elle le trouve beau, au coin d’une rue. C’est bizarre que les hommes, disons certains hommes, le fassent, non ? Comme s’ils ne pouvaient pas le contenir.
Ça m’agace d’autant plus qu’il y a trente kilos j’étais exactement la même fille. J’avais le même humour, les mêmes goûts, le même sourire. Il n’y a que mon corps qui ait changé. Alors, aujourd’hui, on peut me dire que je suis « jolie » : ça me fait plaisir sur le moment, mais au fond, je m’en fous. Comme tout le monde, je vais vieillir, avoir des rides, mon corps va mollir et je serai sans doute une vieille dame toute fripée qui abuse de l’eau de Cologne quand elle a de la visite.
J’ai toujours été cette gamine tantôt « trop » grosse tantôt « trop » grande qui avait appris à faire sans. Un jour, je serai juste « trop » vieille et je peux vous assurer que déambulateur ou pas, je partirai toujours trop tard pour attraper mes bus et mes trains et que je courrai derrière.
Alors, quitte à ce qu’on me fasse un compliment, là, maintenant, j’aimerais mieux qu’on me dise que je suis marrante ou que je fais vachement bien les crumbles. Parce jolie, c’est bien beau, mais les blagues nulles ou les crumbles, au moins on peut partager.
Et puis, à l’âge adulte, j’ai pris du poids, beaucoup trop, que j’ai fini par perdre après beaucoup d’efforts. Je suis devenue jolie. Pas jolie à en tomber par terre, n’exagérons pas, mais dans la moyenne. Et pour moi qui ait toujours explosé les courbes de croissance et les IMC, cette moyenne-là, elle est nouvelle. Mon nouveau corps, je l’aime bien, parce qu’il est super pratique : plus facile à mouvoir et à habiller, plus endurant à l’effort, il marche plus vite, plus longtemps, il monte bien les escaliers et il court après les transports en commun sans être trop essoufflé. Tous ces petits riens m’ont changé la vie : je me sens – au sens propre du terme – plus légère. Un peu comme une voiture sans direction assistée : on galère un peu mais on l’aime bien, par habitude sans doute, mais un jour on tombe sur une bagnole qui l’a et on se rend compte que c’est quand même drôlement chouette.
La seule chose qui me manque vraiment depuis que j’ai perdu du poids, c’est mon invisibilité. Aussi injuste et violent que ça puisse paraitre, quand j’étais grosse, j’étais tranquille. Mis à part les gamins au collège (âge ingrat s’il en est) et quelques rares cons qui m’ont fait remarquer que j’étais en surpoids, toutes ces années passées avec un corps ni mince ni joli ne m’ont pas traumatisée. Est-ce que c’est parce que j’ai été entourée par des gens respectueux, parce que tout le monde s’en foutait, parce que j’inspirais quand même la sympathie ? Aucune idée. Je n’étais pas jolie et je ne l’avais jamais été. C’était tout.
Évidemment, j’ai connu de petites vexations, comme pleins de gens, surtout ce sentiment de rejet quand il s’agissait de séduction. Quand un mec avec lequel tu discutes finit par te demander le numéro de ta copine, la jolie, à côté … ça agace. Ça fait même un peu rager. Maintenant que je suis « jolie », je me retrouve dans une position totalement différente. Au début, les compliments m’ont fait énormément plaisir : la première fois qu’un homme (de moins de soixante-dix ans, disons) m’a dit que j’étais charmante dans la rue, j’étais à deux doigts de sabrer le champagne.
Le problème, c’est que ces compliments innocents vont de pair avec d’autres mots ou d’autres gestes nettement moins plaisants – que je rencontrais déjà avant, mais moins. Car, non, je n’ai pas envie qu’on me mette une main au cul, pas envie qu’on me hèle ou qu’on me siffle, pas envie non plus qu’on me suive sur plusieurs centaines de mètres, de longs mètres pendant lesquels je cherche un truc dans mon sac pour me défendre de l’agression à venir. Je n’ai pas non plus envie de filer des complexes à mes amies, de provoquer la jalousie chez des filles plus rondes, pas envie qu’on critique telle ou telle partie de mon corps qui ne correspond pas à l’idéal féminin comme si c’était un objectif à atteindre. Je ne veux pas de fesses plus rondes, de peau plus lisse, et mes seins me conviennent très bien même s’il l’un dit un peu merde à l’autre (je vous laisse imaginer).
Qu’un homme que je ne connais pas et que je croise juste dans la rue projette sur moi un désir qui n’est que le sien, ça, je ne peux pas le contrôler, c’est humain. Qui n’a pas rêvé de ses vacances à Hawaï avec ce mec, cette fille, cette chèvre (je ne connais pas vos goûts, après tout) croisé(es) dans le métro ? Mais pourquoi m’en faire la remarque ? Si, sans le vouloir, je provoque le désir chez quelqu’un – la plupart du temps, un homme – ce désir ne vient pas de moi : il n’a pas besoin de m’être retourné. Il est très rare qu’une femme dise à un homme qu’elle ne connait pas qu’elle le trouve beau, au coin d’une rue. C’est bizarre que les hommes, disons certains hommes, le fassent, non ? Comme s’ils ne pouvaient pas le contenir.
Ça m’agace d’autant plus qu’il y a trente kilos j’étais exactement la même fille. J’avais le même humour, les mêmes goûts, le même sourire. Il n’y a que mon corps qui ait changé. Alors, aujourd’hui, on peut me dire que je suis « jolie » : ça me fait plaisir sur le moment, mais au fond, je m’en fous. Comme tout le monde, je vais vieillir, avoir des rides, mon corps va mollir et je serai sans doute une vieille dame toute fripée qui abuse de l’eau de Cologne quand elle a de la visite.
J’ai toujours été cette gamine tantôt « trop » grosse tantôt « trop » grande qui avait appris à faire sans. Un jour, je serai juste « trop » vieille et je peux vous assurer que déambulateur ou pas, je partirai toujours trop tard pour attraper mes bus et mes trains et que je courrai derrière.
Alors, quitte à ce qu’on me fasse un compliment, là, maintenant, j’aimerais mieux qu’on me dise que je suis marrante ou que je fais vachement bien les crumbles. Parce jolie, c’est bien beau, mais les blagues nulles ou les crumbles, au moins on peut partager.
- Texte : Camille
- Réalisation sonore : Cerise Robin
- Voix principale : Fabienne Georgin