récit photographique
Mimi*, 23 ans
Enfant, j’ai toujours été idolâtrée par mon père. Il me disait que j’étais belle, voulait que je sois modèle enfant, s’engueulait même avec ma mère, persuadé que j’allais faire un mètre soixante-quinze et devenir mannequin. J’avais une bouille d’ange, des yeux bleus lagon et des cheveux blonds de bébé. Pour lui, j’étais une véritable princesse. Ma mère gardait un peu plus les pieds sur terre. Elle refusait les photos et disait à mon père que vu mes gènes, je ne dépasserais pas le mètre soixante, ce qui est le cas ! Heureusement j’étais encore trop petite pour comprendre toutes ces discussions et pour qu’elles aient un impact sur moi.
Quand j’ai commencé à grandir, j’ai eu le malheur de tomber sur des baby-sitters désastreuses en cuisine. Frites et nuggets à tous les repas, sans oublier le chocolat ! Résultat ? Un IMC bien au-dessus de la moyenne et le commencement de bien des ennuis pour la jeune gourmande que j’étais. J’ai eu des réflexions peu sympathiques : « Tu es sûre que tu veux manger cette tartine de Nutella ? » ; « Tu n’as pas besoin de reprendre des pâtes, tu as bien assez mangé ! » ; « Il faudrait que tu fasses un régime ». Merci à tous les adultes, proches, professeurs, et médecins pour ces conseils ayant entrainé bien des complexes. J’ai commencé ma vie de petite fille boulotte, nulle en cours de sport.
Puis est arrivée l’adolescence, superbe période pendant laquelle les réflexions ont fusé : « A la pêche au thon ! ». Mon estime de moi-même ? 0/20.
Je suis passée par plusieurs looks : baggys, rebelle, skateuse, en passant par le gothique… J’étais loin d’arriver à la cheville de ses nanas populaires du collège en talons aiguilles qui étaient toutes fines, grandes, maquillées. Elles étaient toujours en hauts moulants, impossibles pour moi à cause de ma bouée de sauvetage qui m’aurait valu de nombreuses brimades. Je les enviais beaucoup : elles avaient des compliments alors que je me faisais insulter par les garçons. Dès que quelqu’un se rendait compte qu’un garçon m’intéressait, c’était toujours des injures de l’intéressé ou de ses ami-e-s. Je n’intéressais personne et c’était devenu une fatalité.
Enfin le lycée. Mon look m’éloignait des gens de ma classe. Mon surpoids que je cachais derrière des habits larges aux apparences de parachute est devenu une obsession. Les autres me trouvaient grosse ? Nous allions voir. Je venais de perdre mon père, le seul être qui me trouvait immanquablement belle. Je n’en pouvais plus d’être seule à cause de mon poids.
J’ai arrêté de m’alimenter, perdant un kilo par jour. Je voyais mon gras fondre à vue d’oeil. J’ai continué, encore et encore. Après avoir atteint les quarante-quatre kilos, mes amis ont commencé à comprendre mon manège : je jouais avec mes repas du midi, je prenais ce qu’ils aimaient pour qu’ils les mangent à ma place. Mes amis m’ont obligé à manger, un peu chaque jour. Chaque bouchée que j’avalais était ressentie comme un kilo repris. C’était impensable. Aucun membre de ma famille ne s’en est rendu compte, étant données les circonstances. Ma mère, comme moi, vivions dans un cercle vicieux dans lequel nous nous enfoncions de plus en plus profondément l’une et l’autre. A cette époque, on voyait tous mes os. L’infirmière scolaire n’a su dire à ma mère qu’une chose : « Vous êtres une mauvaise mère ! Vous n’avez même pas vu que votre fille était anorexique ! »
J’aimais être fine, on arrêtait de m’emmerder à propos de mon poids. J’avais l’impression que l’on s’intéressait à moi. On creusait plus sur ce que j’étais. Je ne voulais plus jamais que l’on me traite de grosse.
Et c’est là que j’ai commencé à avoir une vie amoureuse : à croire que ma perte de poids m’avait rendu plus désirable. Première vraie expérience, un gars qui aimait passer son temps à me photographier sous tous les angles. Je croyais les photos artistiques. Mais c’était un pervers, un manipulateur. Difficile de se construire avec quelqu’un vous considérant comme un objet sexuel. Naïve, j’ai cru que cet homme me trouvait jolie.
Ma deuxième expérience n’était pas tellement mieux : je suis tombée sur une personnalité manipulatrice, perverse et narcissique. Le genre de garçon qui te dit : « Oh mais en fait, tu as un code barre sur la poitrine ! » en parlant des vergetures qui ornaient mes seins.
Après ces deux relations, ma vision de la femme a été brisée. Une femme devait être fine, belle, désirable et sexy. Qu’elle soit intelligente ou intéressante n’avait aucune importance tant qu’elle était assez bonne.
Un peu plus tard, ma première relation a fait sa réapparition. Il avait partagé mon image sur de nombreux sites pornographiques. Quand je l’ai appris, j’étais dégoutée, horrifiée, humiliée. Mon image n’était plus la mienne : des milliers d’internautes m’avaient vue nue et même contacté via Facebook. Je me suis sentie trahie et salie. Je ne supportais plus de me regarder dans un miroir. J’imaginais tous ces inconnus me regarder et juger mon corps. Même habillée, je me sentais nue.
C’est la police qui m’a permis de garder confiance en moi. Ils m’ont considérée comme une femme intelligente tout en ayant vu les photos. A partir de ce moment-là, j’ai pris conscience que des personnes bien verraient au-delà de mon physique. La justice m’a aidé à réaliser mon statut de victime d’un prédateur sexuel.
Après ces relations, je me suis dit que je n’avais plus le choix : soit je m’enfermais dans ces visions négatives, soit je les combattais. J’ai donc décidé d’essayer de m’aimer et de me réapproprier mon corps et j’ai commencé par le sport. La chose que je détestais le plus au monde. Je voulais prouver à tous ceux qui m’en jugeaient incapable que je pouvais me dépasser. Cela m’a servi à faire sortir la colère et à sculpter mon corps sur mes nouveaux idéaux de beauté. J’ai commencé seule : je ne pouvais pas m’imaginer dans un club avec des gens me jaugeant et me jugeant, tuant ma confiance en moi et ma motivation durement acquises. J’ai pratiqué bon nombre de sports entre 6 à 15h par semaine selon mes possibilités et ma santé. Mais je pense reprendre la danse car c’est l’exutoire que je préfère. Je me sens enfin capable de supporter le regard d’autrui. J’ai repris en un rien de temps mon ancien poids, mais en muscle. Je ne supportais pas l’idée mais je me suis résignée : me muscler m’autorisait à manger ce que je voulais C’était ça ou retomber dans une spirale infernale de privation. Le choix a été vite fait.
J’ai fini par avoir un bon niveau et par aimer le sport. Je suis devenue modèle photo, suite à un concours de circonstances. J’y ai finalement trouvé un intérêt énorme : je transformais cette image de moi v(i)olée par ma première relation en un sentiment positif. J’ai posé habillée, en sous-vêtement et même nue. C’était une manière de me réapproprier mon image, d’effacer l’ancienne moi. Jouer les modèles et les mannequins a été une thérapie ; plus je faisais de photos, plus je me trouvais belle, plus je m’assumais. J’ai découvert la notion de beauté relative : nous sommes tous différents et nous sommes tous beau à notre manière. Les images que nous renvoient les magazines ne sont qu’une illusion, une définition trop étroite de ce qu’est la beauté. Elle se trouve en chacun de nous. Je ne corresponds pas aux critères de beauté de notre société et pourtant je fais des photos et même des défilés. Cela montre bien qu’être hors cadre n’empêche rien. Je ne suis pas aussi fine qu’une fille de magazine, et alors ?
Au fond, je suis toujours la même : la petite princesse blonde. Je rigole peut-être plus. J’ai enfin réussi à me trouver jolie sans artifices. J’arrive même à utiliser l’autodérision. Le plus important n’est pas ce que l’on est mais ce que l’on fait de ce que l’on est. Plus on s’assume, plus on est jolie. Chaque femme est unique.
C’est ce qui nous rend belles.
Quand j’ai commencé à grandir, j’ai eu le malheur de tomber sur des baby-sitters désastreuses en cuisine. Frites et nuggets à tous les repas, sans oublier le chocolat ! Résultat ? Un IMC bien au-dessus de la moyenne et le commencement de bien des ennuis pour la jeune gourmande que j’étais. J’ai eu des réflexions peu sympathiques : « Tu es sûre que tu veux manger cette tartine de Nutella ? » ; « Tu n’as pas besoin de reprendre des pâtes, tu as bien assez mangé ! » ; « Il faudrait que tu fasses un régime ». Merci à tous les adultes, proches, professeurs, et médecins pour ces conseils ayant entrainé bien des complexes. J’ai commencé ma vie de petite fille boulotte, nulle en cours de sport.
Puis est arrivée l’adolescence, superbe période pendant laquelle les réflexions ont fusé : « A la pêche au thon ! ». Mon estime de moi-même ? 0/20.
Je suis passée par plusieurs looks : baggys, rebelle, skateuse, en passant par le gothique… J’étais loin d’arriver à la cheville de ses nanas populaires du collège en talons aiguilles qui étaient toutes fines, grandes, maquillées. Elles étaient toujours en hauts moulants, impossibles pour moi à cause de ma bouée de sauvetage qui m’aurait valu de nombreuses brimades. Je les enviais beaucoup : elles avaient des compliments alors que je me faisais insulter par les garçons. Dès que quelqu’un se rendait compte qu’un garçon m’intéressait, c’était toujours des injures de l’intéressé ou de ses ami-e-s. Je n’intéressais personne et c’était devenu une fatalité.
Enfin le lycée. Mon look m’éloignait des gens de ma classe. Mon surpoids que je cachais derrière des habits larges aux apparences de parachute est devenu une obsession. Les autres me trouvaient grosse ? Nous allions voir. Je venais de perdre mon père, le seul être qui me trouvait immanquablement belle. Je n’en pouvais plus d’être seule à cause de mon poids.
J’ai arrêté de m’alimenter, perdant un kilo par jour. Je voyais mon gras fondre à vue d’oeil. J’ai continué, encore et encore. Après avoir atteint les quarante-quatre kilos, mes amis ont commencé à comprendre mon manège : je jouais avec mes repas du midi, je prenais ce qu’ils aimaient pour qu’ils les mangent à ma place. Mes amis m’ont obligé à manger, un peu chaque jour. Chaque bouchée que j’avalais était ressentie comme un kilo repris. C’était impensable. Aucun membre de ma famille ne s’en est rendu compte, étant données les circonstances. Ma mère, comme moi, vivions dans un cercle vicieux dans lequel nous nous enfoncions de plus en plus profondément l’une et l’autre. A cette époque, on voyait tous mes os. L’infirmière scolaire n’a su dire à ma mère qu’une chose : « Vous êtres une mauvaise mère ! Vous n’avez même pas vu que votre fille était anorexique ! »
J’aimais être fine, on arrêtait de m’emmerder à propos de mon poids. J’avais l’impression que l’on s’intéressait à moi. On creusait plus sur ce que j’étais. Je ne voulais plus jamais que l’on me traite de grosse.
Et c’est là que j’ai commencé à avoir une vie amoureuse : à croire que ma perte de poids m’avait rendu plus désirable. Première vraie expérience, un gars qui aimait passer son temps à me photographier sous tous les angles. Je croyais les photos artistiques. Mais c’était un pervers, un manipulateur. Difficile de se construire avec quelqu’un vous considérant comme un objet sexuel. Naïve, j’ai cru que cet homme me trouvait jolie.
Ma deuxième expérience n’était pas tellement mieux : je suis tombée sur une personnalité manipulatrice, perverse et narcissique. Le genre de garçon qui te dit : « Oh mais en fait, tu as un code barre sur la poitrine ! » en parlant des vergetures qui ornaient mes seins.
Après ces deux relations, ma vision de la femme a été brisée. Une femme devait être fine, belle, désirable et sexy. Qu’elle soit intelligente ou intéressante n’avait aucune importance tant qu’elle était assez bonne.
Un peu plus tard, ma première relation a fait sa réapparition. Il avait partagé mon image sur de nombreux sites pornographiques. Quand je l’ai appris, j’étais dégoutée, horrifiée, humiliée. Mon image n’était plus la mienne : des milliers d’internautes m’avaient vue nue et même contacté via Facebook. Je me suis sentie trahie et salie. Je ne supportais plus de me regarder dans un miroir. J’imaginais tous ces inconnus me regarder et juger mon corps. Même habillée, je me sentais nue.
C’est la police qui m’a permis de garder confiance en moi. Ils m’ont considérée comme une femme intelligente tout en ayant vu les photos. A partir de ce moment-là, j’ai pris conscience que des personnes bien verraient au-delà de mon physique. La justice m’a aidé à réaliser mon statut de victime d’un prédateur sexuel.
Après ces relations, je me suis dit que je n’avais plus le choix : soit je m’enfermais dans ces visions négatives, soit je les combattais. J’ai donc décidé d’essayer de m’aimer et de me réapproprier mon corps et j’ai commencé par le sport. La chose que je détestais le plus au monde. Je voulais prouver à tous ceux qui m’en jugeaient incapable que je pouvais me dépasser. Cela m’a servi à faire sortir la colère et à sculpter mon corps sur mes nouveaux idéaux de beauté. J’ai commencé seule : je ne pouvais pas m’imaginer dans un club avec des gens me jaugeant et me jugeant, tuant ma confiance en moi et ma motivation durement acquises. J’ai pratiqué bon nombre de sports entre 6 à 15h par semaine selon mes possibilités et ma santé. Mais je pense reprendre la danse car c’est l’exutoire que je préfère. Je me sens enfin capable de supporter le regard d’autrui. J’ai repris en un rien de temps mon ancien poids, mais en muscle. Je ne supportais pas l’idée mais je me suis résignée : me muscler m’autorisait à manger ce que je voulais C’était ça ou retomber dans une spirale infernale de privation. Le choix a été vite fait.
J’ai fini par avoir un bon niveau et par aimer le sport. Je suis devenue modèle photo, suite à un concours de circonstances. J’y ai finalement trouvé un intérêt énorme : je transformais cette image de moi v(i)olée par ma première relation en un sentiment positif. J’ai posé habillée, en sous-vêtement et même nue. C’était une manière de me réapproprier mon image, d’effacer l’ancienne moi. Jouer les modèles et les mannequins a été une thérapie ; plus je faisais de photos, plus je me trouvais belle, plus je m’assumais. J’ai découvert la notion de beauté relative : nous sommes tous différents et nous sommes tous beau à notre manière. Les images que nous renvoient les magazines ne sont qu’une illusion, une définition trop étroite de ce qu’est la beauté. Elle se trouve en chacun de nous. Je ne corresponds pas aux critères de beauté de notre société et pourtant je fais des photos et même des défilés. Cela montre bien qu’être hors cadre n’empêche rien. Je ne suis pas aussi fine qu’une fille de magazine, et alors ?
Au fond, je suis toujours la même : la petite princesse blonde. Je rigole peut-être plus. J’ai enfin réussi à me trouver jolie sans artifices. J’arrive même à utiliser l’autodérision. Le plus important n’est pas ce que l’on est mais ce que l’on fait de ce que l’on est. Plus on s’assume, plus on est jolie. Chaque femme est unique.
C’est ce qui nous rend belles.
- Texte : collaboration entre Mimi* & Noémie Louessard.
- Correctrice : Camille Louessard
- Réalisation : Cerise Robin
- Voix principale : Françoise Albert
- Voix secondaires – Stéphane Jaouen, Catherine Jahan, Fabienne Georgin, Josée Foucher.