récit photographique
Robin*, 22 ans
Le corps, c’est une chose qu’on ne choisit pas. Il nous définit pourtant aux yeux des autres, alors on le porte; le transporte et l’exporte de mille façons. Moi, je voulais être invisible. Je ne voulais pas être une fille. Je ne voulais pas être un bout de viande sur l’étal du boucher en attente d’être assaisonnée. Je ne voulais pas être touchée, embrassée, aimée. Je ne veux pas que l’on voit mon corps, que l’on m’aime pour lui.
Le corps, c’est la dernière frontière contre le monde entier. Une frontière poreuse que l’on choisit d’ouvrir ou non à l’étranger avec son recueil de maladies, de plaisirs, d’orgasmes, de caresses et de morsures. Un voile élastique où s’impriment nos expériences, un duvet pour empêcher le froid de nous masser les entrailles. Moi ma frontière n’existe plus. Mes chairs sont grandes ouvertes. D’abord par un homme que j’aimais qui est entré sans autorisation. Il a attaché mes réticences, bâillonné mes cris, pris l’Amour pour le transformer en Haine et créer la Détestation de soi. Puis par eux, des terroristes expatriés d’un autre corps, qui se sont installés, ont nidifiés avant d’être expulsés. Juste après des semaines d’attentes, de contournements, d’impression de n’être qu’une salope qui a mérité son sort. A chaque séance trois doigts dans mon intimité : « Il tient bien, ça aurait fait une jolie grossesse ». « Et votre projet-bébé? » Tout le monde y va de son avis, oubliant sans doute que le corps, même d’une femme, n’appartient à personne d’autre qu’à elle-même. Qu’elle y porte la vie ou non.
Moi mon corps, c’est un traitre. Un ennemi juré et mortel qui me lâchera avant ma vie. Moi mon corps il ne sait que donner la mort. Il est pourrissant et impuissant. Il se donne avec frivolité, s’adonne aux dérisions du monde. Il sait si bien faire semblant. Sourire pour échapper aux questions, recréer le plaisir pour échapper aux coups. Ne pas montrer la peur et la honte. Il réagit presque par instinct. Il est son propre amiral quand ma conscience est craintive. La protégeant ainsi des réalités, il est mon double. Capable de miracles, il peut se scinder en deux, s’expatrier du « Je ». Et mon coeur, qui en a assez de sa cage ivoirienne, se débat frénétiquement pour s’en extirper. Il aura fini par essouffler ma vie. Brisé de mille manières, recollé approximativement, il était le monde où je cachais mes peines. A présent il est le reflet de la fragilité de ma naissance. Car un jour, j’ai compris que son corps, on l’appréhende avec les autres. Et que l’accepter, c’était aussi accepter les regards. Les critiques. Les blessures. La peau, les courbes, ce sont les amies les plus infidèles parce qu’elles sont cette vie que tous les jours nous nous empressons de gommer. Lorsque j’ai enfin saisis que la perception que les autres pouvaient avoir de moi était parfois dangereuse, j’ai construit mon corps pour mimer ce que je ne pouvais défendre. Mon malheur a fait le bonheur de mes docteurs. Une bête de foire, un corps pour la science. Les médecins, ces êtres sans intimité sont entrés sans jamais ressortir. Ils ont ouvert ma poitrine pour la regarder, explorer la rareté de mon mécanisme. Puis ce fut au tour de mon cerveau et de mon utérus d’être des objets de convoitises. Zébrée et fertile, je suis un monstre des cacophonies médicales. Les médecins ont l’habitude de voir des corps nus. Juste des corps. Pas plus. Des meurtrissures, des voluptés, ils n’en font pas cas. Je crois qu’on m’a tellement mis de doigts en moi qu’à présent moi non plus, je n’en fais plus cas… Qu’à ma tête. La seule chose que je préserve. Baignant dans la folie ou le raisonnement poussé à son paroxysme mais me défiant des psys. Il faut bien que je garde quelque chose pour moi, non? Quelque chose à offrir, comme un trésor à un amour naissant. Parce que le reste a été disséqué, radiographié, vu et revu sous tellement d’angles qu’il me semble à présent appartenir au domaine de la science. Généralement on donne son corps à la science une fois mort… Pour moi c’est jusqu’à la mort. Parce que sans la vie, je ne vaudrais plus rien à leurs yeux.
J’ai réappris à aimer mon corps en aimant celui d’un autre. Particulier, comme idée…non? Il n’y a que sous ses yeux que je peux, en m’oubliant, oublier l’idée de me taillader. Avant lui, j’avais décidé que je me donnerais sans compassion, miroir des âmes sans espoir. Les jours et les nuits se confondaient, j’ai cru que le monde serait moins étrange. J’ai cru que je n’aurais plus peur des regards passagers. Que je n’aurais plus peur des apparats des gens. Que mes craintes disparaitraient dans le néant de mes sentiments. Qu’un simple « vous êtes très mignonne, mademoiselle » ne sonnerait plus comme un danger. Qu’un sifflement dans la rue ne deviendrait pas une agression. J’ai confondu l’acceptation de ce corps avec son abandon. Mes amants, mes maitresses, me voyaient tous en femme libérée. Ils bandaient leurs yeux pour ne pas croiser un appel au secours : « s’il te plaît, protège-moi de moi ». Avec lui, j’ai enfin senti le désir comme une caresse. Le jeu corporel comme une danse, dont j’apprends encore les pas. J’ai accepté d’exposer mes cicatrices et je me suis sentie belle, avec ! J’ai vu dans cette relation un bouclier irradiant, une nouvelle envie de plaire et surtout de garder, garder ce corps qu’il faut bien accepter.
Mais les sifflements se poursuivent. Les invitations scandaleuses, suivies d’un petit « tu dis non mais tes yeux disent oui » s’additionnent sur ma peau frissonnante. Les attouchements, les réflexions mal venues, désireuses ou jalouses, impudiques. Alors que faire à par serrer les dents? Tous ceux qui me disent que je ne grossis pas, oubliant par-là que cette maigreur me pourrie de l’intérieur. Qu’elle empoisonne mon sang trop pauvre et freine mes passions trop riches. Porter du XXS est aussi difficile que du XXL. Le bonnet de ma poitrine me donne l’allure d’une brindille que l’on pourrait briser. J’ai un corps de poupée. Des yeux aussi bleus que deux hématomes. J’ai l’air innocente et fragile, avec mes petites mains, mes petites hanches, mes petites fesses. Chez moi tout est petit, sauf mes cheveux et mon caractère. Si je mets une chemise et que je me fais un chignon, je prends l’air d’un garçon. D’ailleurs j’ai longtemps été la pauvre petite fille qui ne pouvait attirer les regards parce pas encore pubère. Ma sexualité débridée pour seul abandon, j’ai refusé la vie dans mon ventre, refusé le désir dans les regards. J’étais si gênée d’exposer des formes que je ne possède pas. Et puis j’ai commencé à poser. Par jeu, par esprit d’aventure, par envie de faire une chose que je me pensais incapable d’entreprendre. Au départ, c’était pour des photographes avec lesquels j’avais une aventure car être enfin regardée sous tous les angles, être figée selon leur bon vouloir… Ca me donnait confiance en moi. Alors j’ai décidé de faire ça pour moi. J’ai choisi non-pas d’exposer ces chairs mais plutôt d’être une toile pour un regard, pour des regards. J’ai compris que nu, le corps ne pouvait qu’être beau. Que poser permettait de jouer la comédie. J’ai posé nue à l’instant où j’ai pu me dire « la personne qui tient l’appareil photo, j’ai confiance en elle. Elle capte une émotion et non une poitrine ou un sexe, c’est pur. » Et cette pureté-là, je la cherchais depuis si longtemps. C’est drôle mais devant l’objectif, je ne suis jamais gênée de me montrer.
Je suis devenue la nymphette au coeur de pierre pour certains, la princesse au sourire de velours pour d’autres. Mon corps, c’est comme des pièces d’un même univers, paradoxale. Il a tant vécu pour ce qu’il montre, tellement perdu pour ce qu’il cache.
J’ai fini par accepter. J’ai décidé que ce corps, il servirait à porter mes espoirs. Il serait un simple moyen de transport, une enveloppe sans originalité. A présent on peut tout lui faire, mon âme s’en est détachée. Châtie-moi, frappe-moi, possède-moi qu’importe! Ce corps n’est pas moi. Ce corps c’est vous. C’est votre reflet, vos déceptions, vos frustrations, vos martyres, vos envies, vos craintes et vos douleurs. Ce corps c’est un tas de chairs et d’ossements – un os à ronger.
J’ai accepté l’idée de mon corps. J’ai compris qu’il pouvait aussi être la chaleur pour un ami, la main qui vient consoler ma mère endeuillée après la mort de mon grand-père, les doigts qui massent les dos douloureux. Les cordes vocales qui hurlent les injustices. Les sourires pour sublimer un moment partagé. Mon dos n’est plus voûté lorsque je parle aux autres. Mes pas sont aussi légers et joyeux que lourds et chagrinés. Je continue à éviter les miroirs comme la peste. A souffrir quand on me dit que je suis maigre. A détester quand on ose même penser me toucher, me juger. Mais mon regard sert à jeter la foudre sur les gens. A voir les merveilles de ce monde. Ma bouche ce sont tous les baisers depuis mon enfance. Ces extraits de tendresse trop souvent oubliés. Mes dents sont des crocs de défense. Des armes fatales pour protéger mes anges. Mes ongles rongés sont des griffes acérées et mon cerveau, mon coeur, sont les organes vitaux sans lesquels jamais je n’aurais pu goûter aux plaisirs de mon existence. Grâce auxquels aujourd’hui je n’ai plus peur de vivre.
J’ai un corps de petite fille, un coeur de vieille femme, un cerveau de zèbre et un regard de chat de gouttière. Mes coutures ne tiennent plus, les morceaux disséqués forment un Puzzle. Si réactif qu’il est devenu réceptacle des émotions de la foule pullulante. Peu à peu j’en ai pris le visage, par mimétisme j’en ai acquis les traits. Un Masque étrange me recouvre la face, pour m’accorder à la vision que les autres ont de moi.
Lexique : Zébrée : Terme d’argot médical employé pour désigner un diagnostic rare et inattendu. Un zèbre est donc quelqu’un (adulte ou enfant) manifestant des capacités intellectuelles très supérieures à la moyenne. Les psychologues s’accordent à considérer qu’au delà de 130, il y a « surdouement ». Cela se manifeste par des particularités sur le plan intellectuel & affectif : une réflexion en diagonale, une incapacité à comprendre les choses les plus draconiennes, un sens aigüe de l’apprentissage. Le « surdoué » est souvent inadapté en termes émotionnels, où rien n’est simple. Le monde lui semble incompréhensible et illogique. Il n’existe malheureusement pas encore d’accompagnement réel du sujet surdoué, et cette capacité est peu connue.
Pour protéger l’anonymat, le prénom a été modifié en Robin*.
Le corps, c’est la dernière frontière contre le monde entier. Une frontière poreuse que l’on choisit d’ouvrir ou non à l’étranger avec son recueil de maladies, de plaisirs, d’orgasmes, de caresses et de morsures. Un voile élastique où s’impriment nos expériences, un duvet pour empêcher le froid de nous masser les entrailles. Moi ma frontière n’existe plus. Mes chairs sont grandes ouvertes. D’abord par un homme que j’aimais qui est entré sans autorisation. Il a attaché mes réticences, bâillonné mes cris, pris l’Amour pour le transformer en Haine et créer la Détestation de soi. Puis par eux, des terroristes expatriés d’un autre corps, qui se sont installés, ont nidifiés avant d’être expulsés. Juste après des semaines d’attentes, de contournements, d’impression de n’être qu’une salope qui a mérité son sort. A chaque séance trois doigts dans mon intimité : « Il tient bien, ça aurait fait une jolie grossesse ». « Et votre projet-bébé? » Tout le monde y va de son avis, oubliant sans doute que le corps, même d’une femme, n’appartient à personne d’autre qu’à elle-même. Qu’elle y porte la vie ou non.
Moi mon corps, c’est un traitre. Un ennemi juré et mortel qui me lâchera avant ma vie. Moi mon corps il ne sait que donner la mort. Il est pourrissant et impuissant. Il se donne avec frivolité, s’adonne aux dérisions du monde. Il sait si bien faire semblant. Sourire pour échapper aux questions, recréer le plaisir pour échapper aux coups. Ne pas montrer la peur et la honte. Il réagit presque par instinct. Il est son propre amiral quand ma conscience est craintive. La protégeant ainsi des réalités, il est mon double. Capable de miracles, il peut se scinder en deux, s’expatrier du « Je ». Et mon coeur, qui en a assez de sa cage ivoirienne, se débat frénétiquement pour s’en extirper. Il aura fini par essouffler ma vie. Brisé de mille manières, recollé approximativement, il était le monde où je cachais mes peines. A présent il est le reflet de la fragilité de ma naissance. Car un jour, j’ai compris que son corps, on l’appréhende avec les autres. Et que l’accepter, c’était aussi accepter les regards. Les critiques. Les blessures. La peau, les courbes, ce sont les amies les plus infidèles parce qu’elles sont cette vie que tous les jours nous nous empressons de gommer. Lorsque j’ai enfin saisis que la perception que les autres pouvaient avoir de moi était parfois dangereuse, j’ai construit mon corps pour mimer ce que je ne pouvais défendre. Mon malheur a fait le bonheur de mes docteurs. Une bête de foire, un corps pour la science. Les médecins, ces êtres sans intimité sont entrés sans jamais ressortir. Ils ont ouvert ma poitrine pour la regarder, explorer la rareté de mon mécanisme. Puis ce fut au tour de mon cerveau et de mon utérus d’être des objets de convoitises. Zébrée et fertile, je suis un monstre des cacophonies médicales. Les médecins ont l’habitude de voir des corps nus. Juste des corps. Pas plus. Des meurtrissures, des voluptés, ils n’en font pas cas. Je crois qu’on m’a tellement mis de doigts en moi qu’à présent moi non plus, je n’en fais plus cas… Qu’à ma tête. La seule chose que je préserve. Baignant dans la folie ou le raisonnement poussé à son paroxysme mais me défiant des psys. Il faut bien que je garde quelque chose pour moi, non? Quelque chose à offrir, comme un trésor à un amour naissant. Parce que le reste a été disséqué, radiographié, vu et revu sous tellement d’angles qu’il me semble à présent appartenir au domaine de la science. Généralement on donne son corps à la science une fois mort… Pour moi c’est jusqu’à la mort. Parce que sans la vie, je ne vaudrais plus rien à leurs yeux.
J’ai réappris à aimer mon corps en aimant celui d’un autre. Particulier, comme idée…non? Il n’y a que sous ses yeux que je peux, en m’oubliant, oublier l’idée de me taillader. Avant lui, j’avais décidé que je me donnerais sans compassion, miroir des âmes sans espoir. Les jours et les nuits se confondaient, j’ai cru que le monde serait moins étrange. J’ai cru que je n’aurais plus peur des regards passagers. Que je n’aurais plus peur des apparats des gens. Que mes craintes disparaitraient dans le néant de mes sentiments. Qu’un simple « vous êtes très mignonne, mademoiselle » ne sonnerait plus comme un danger. Qu’un sifflement dans la rue ne deviendrait pas une agression. J’ai confondu l’acceptation de ce corps avec son abandon. Mes amants, mes maitresses, me voyaient tous en femme libérée. Ils bandaient leurs yeux pour ne pas croiser un appel au secours : « s’il te plaît, protège-moi de moi ». Avec lui, j’ai enfin senti le désir comme une caresse. Le jeu corporel comme une danse, dont j’apprends encore les pas. J’ai accepté d’exposer mes cicatrices et je me suis sentie belle, avec ! J’ai vu dans cette relation un bouclier irradiant, une nouvelle envie de plaire et surtout de garder, garder ce corps qu’il faut bien accepter.
Mais les sifflements se poursuivent. Les invitations scandaleuses, suivies d’un petit « tu dis non mais tes yeux disent oui » s’additionnent sur ma peau frissonnante. Les attouchements, les réflexions mal venues, désireuses ou jalouses, impudiques. Alors que faire à par serrer les dents? Tous ceux qui me disent que je ne grossis pas, oubliant par-là que cette maigreur me pourrie de l’intérieur. Qu’elle empoisonne mon sang trop pauvre et freine mes passions trop riches. Porter du XXS est aussi difficile que du XXL. Le bonnet de ma poitrine me donne l’allure d’une brindille que l’on pourrait briser. J’ai un corps de poupée. Des yeux aussi bleus que deux hématomes. J’ai l’air innocente et fragile, avec mes petites mains, mes petites hanches, mes petites fesses. Chez moi tout est petit, sauf mes cheveux et mon caractère. Si je mets une chemise et que je me fais un chignon, je prends l’air d’un garçon. D’ailleurs j’ai longtemps été la pauvre petite fille qui ne pouvait attirer les regards parce pas encore pubère. Ma sexualité débridée pour seul abandon, j’ai refusé la vie dans mon ventre, refusé le désir dans les regards. J’étais si gênée d’exposer des formes que je ne possède pas. Et puis j’ai commencé à poser. Par jeu, par esprit d’aventure, par envie de faire une chose que je me pensais incapable d’entreprendre. Au départ, c’était pour des photographes avec lesquels j’avais une aventure car être enfin regardée sous tous les angles, être figée selon leur bon vouloir… Ca me donnait confiance en moi. Alors j’ai décidé de faire ça pour moi. J’ai choisi non-pas d’exposer ces chairs mais plutôt d’être une toile pour un regard, pour des regards. J’ai compris que nu, le corps ne pouvait qu’être beau. Que poser permettait de jouer la comédie. J’ai posé nue à l’instant où j’ai pu me dire « la personne qui tient l’appareil photo, j’ai confiance en elle. Elle capte une émotion et non une poitrine ou un sexe, c’est pur. » Et cette pureté-là, je la cherchais depuis si longtemps. C’est drôle mais devant l’objectif, je ne suis jamais gênée de me montrer.
Je suis devenue la nymphette au coeur de pierre pour certains, la princesse au sourire de velours pour d’autres. Mon corps, c’est comme des pièces d’un même univers, paradoxale. Il a tant vécu pour ce qu’il montre, tellement perdu pour ce qu’il cache.
J’ai fini par accepter. J’ai décidé que ce corps, il servirait à porter mes espoirs. Il serait un simple moyen de transport, une enveloppe sans originalité. A présent on peut tout lui faire, mon âme s’en est détachée. Châtie-moi, frappe-moi, possède-moi qu’importe! Ce corps n’est pas moi. Ce corps c’est vous. C’est votre reflet, vos déceptions, vos frustrations, vos martyres, vos envies, vos craintes et vos douleurs. Ce corps c’est un tas de chairs et d’ossements – un os à ronger.
J’ai accepté l’idée de mon corps. J’ai compris qu’il pouvait aussi être la chaleur pour un ami, la main qui vient consoler ma mère endeuillée après la mort de mon grand-père, les doigts qui massent les dos douloureux. Les cordes vocales qui hurlent les injustices. Les sourires pour sublimer un moment partagé. Mon dos n’est plus voûté lorsque je parle aux autres. Mes pas sont aussi légers et joyeux que lourds et chagrinés. Je continue à éviter les miroirs comme la peste. A souffrir quand on me dit que je suis maigre. A détester quand on ose même penser me toucher, me juger. Mais mon regard sert à jeter la foudre sur les gens. A voir les merveilles de ce monde. Ma bouche ce sont tous les baisers depuis mon enfance. Ces extraits de tendresse trop souvent oubliés. Mes dents sont des crocs de défense. Des armes fatales pour protéger mes anges. Mes ongles rongés sont des griffes acérées et mon cerveau, mon coeur, sont les organes vitaux sans lesquels jamais je n’aurais pu goûter aux plaisirs de mon existence. Grâce auxquels aujourd’hui je n’ai plus peur de vivre.
J’ai un corps de petite fille, un coeur de vieille femme, un cerveau de zèbre et un regard de chat de gouttière. Mes coutures ne tiennent plus, les morceaux disséqués forment un Puzzle. Si réactif qu’il est devenu réceptacle des émotions de la foule pullulante. Peu à peu j’en ai pris le visage, par mimétisme j’en ai acquis les traits. Un Masque étrange me recouvre la face, pour m’accorder à la vision que les autres ont de moi.
Lexique : Zébrée : Terme d’argot médical employé pour désigner un diagnostic rare et inattendu. Un zèbre est donc quelqu’un (adulte ou enfant) manifestant des capacités intellectuelles très supérieures à la moyenne. Les psychologues s’accordent à considérer qu’au delà de 130, il y a « surdouement ». Cela se manifeste par des particularités sur le plan intellectuel & affectif : une réflexion en diagonale, une incapacité à comprendre les choses les plus draconiennes, un sens aigüe de l’apprentissage. Le « surdoué » est souvent inadapté en termes émotionnels, où rien n’est simple. Le monde lui semble incompréhensible et illogique. Il n’existe malheureusement pas encore d’accompagnement réel du sujet surdoué, et cette capacité est peu connue.
Pour protéger l’anonymat, le prénom a été modifié en Robin*.
- Texte : collaboration entre Robin* & Noémie Louessard
- Correctrice : Camille Louessard
- Réalisation sonore : Cerise Robin
- Voix principale : Josée Foucher
- Voix secondaires – Stéphane Jaouen, Lénaïck Millard